La Désespérance? Une arme: la bicyclette !

Juil 9, 2011 | témoignage, voyage

“When the power of love overcomes the love

of power, the world will know peace”

Jimi Hendrix

Douter sans redouter fait avancer. Cette maxime m’est constamment revenue à l’esprit durant ce voyage au caractère nordique. Un peu comme un mantra qu’on se réciterait afin de ne pas perdre son objectif de vue: Göteborg en Suède et ses jeux mondiaux des transplantés. 50 jours à vitesse adéquate pour ne pas rompre l’équilibre, tout en acceptant l’invitation au dépassement: ni trop vite pour bien saisir la multitude des détails au loin, ni trop lentement pour garder l’impulsion du désir d’aller au-delà. Une tribulation cyclique de 2’300 km qui m’a parfois conduit, dans une même journée, à pleurer, tantôt de tristesse, tantôt de joie. Un bien-être indescriptible que l’on ressent tous lorsque le temps s’arrête mais que l’instant continue. Une intense émotion qui envahit le corps, remplit l’esprit et nourrit l’âme, à l’instar de cette bulle de savon en suspension: précieuse de par sa fragilité. Avec le chuchotement de cette petite voix intime: « OUI cette “place” que tu occupes précisément en ce moment, malgré toutes les galères traversées et les difficultés accumulées, est bien la tienne, elle t’appartient, merci d’être vrai envers toi-même ! ». Un laps de temps fugace où l’on sait qu’on fait partie d’un “tout” et qu’égoïstement on le souhaiterait infini. Très probablement, c’est justement l’éphémère de cet instant qui en accentue sa magie. Peut-être ces moments de plénitude sont-ils des manifestations de bienveillance de la Vie à notre égard? Ou alors est-ce cette chose si complexe que nous la dénommons simplement “la pleine conscience”?

De façon plus terre à terre, la bicyclette défie la gravité car elle empêche de tourner en rond. Elle éclipse nos mondes à l’horizon souvent bien trop confiné pour nous embarquer tous sur une même planète : celle de l’évolution, de la révolution et de l’idéal anarchique. Elle a ce potentiel de transformer l’adynamie en syntonie, l’anosognosie des sens en Energie morale, le plus vouloir pouvoir en pouvoir vouloir.

Modèle effarant d’authenticité, puisque inégalé (mais égalitaire car antiségrégationniste), il est le plus civilisé des moyens de transports et le seul que je pourrai jamais aduler tant toute la gamme d’émotions qu’il procure ne ressemble à aucun autre. Le vélo érode la peur, il est une addition de superlatifs, un poing levé au meilleur, une mélopée philosophique, une fraction de quintessence au dénominateur commun: l’Humanité. Une mélodie rythmée au son du vent, des paroles à (s’)inventer au gré des états d’âme et des notes à la tonalité bien frappée des chaudes et surprenantes rencontres. Un chant solidaire qui unit, tout en s’indignant des honteuses inégalités. Pas une de ces chansons insipides au vulgaire du banal. Non, plutôt une sublime symphonie composée par la gracieuse variation des flûtes, allégorie de la Vie, s’il en est une, où peu importerait les vents et les turbulences tant qu’avancer demeurerait la direction. Il faut alors éviter le piège du renoncement en changeant de braquet à temps et garder ainsi une roue d’avance. Tenter avec humilité, de trouver les moyens qui feront naître les ressources permettant d’affronter les bûches jalonnant les routes de l’existence pour, au final, faire trébucher la défiance en celle-ci. Forcer la providence et avancer coûte que coûte sans trop savoir ce qui nous est concocté pour l’avenir. Tout comme Konrad ce vieux monsieur, (81 ans et quatre pontages coronariens!) à l’esprit alerte et aux muscles bien affûtés qui après une matinée à pédaler avec moi me balance: “Si je n’avais pas eu de vélo, je serais mort”. Quel paradoxe! Abattons l’effet nausebo associé à la soi-disant trop grande difficulté pour une virée vivifiante! Je crois aux vertus mélioratives et curatives de la bicyclette qui est un véritable antidote à la lassitude et, tout comme Morand, je pense que “Ailleurs est un mot plus beau que demain”. Epatante machine qui, unique en son genre, peut élégamment et allègrement transporter plus de dix fois son propre poids! Loin du “matérialisme intellectuel” et des raisonnements abscons qui nous emballent tels de petits paquets, il décloisonne la façon de percevoir tout en adoucissant le regard posé sur chaque nouvelle situation; les certitudes se transforment en questionnements, les craintes en confiance et la noirceur des prisons intérieures en campagnes vertes. Il oppose l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence. Oserait-on aller jusqu’à dire que, de par son mouvement cyclique, il décolonise l’imaginaire des présupposés négatifs pour les remplacer par de l’empathie, de l’amour. Un vélorutionnaire doté d’une arme de révolution (étrange : les mots vélo et évolution y apparaissent) massive digne d’un cyclo-terroriste, donc? Oui, je pense que les sentiments conjointement scellés de fragilité et “d’inoxydabilité” qu’il procure aiguisent l’attention du cyclotouriste au monde et par corollaire à son prochain. Du haut de sa selle, il se sent les pieds bien sur terre, en connexion avec autrui. Et après tout, un vélo de plus c’est une bagnole de moins! Non?

La bicyclette est une drogue douce, une saine toxicomanie qui permet d’atteindre un paradis non-artificiel où il n’est nul nécessaire d’être un CRACK pour atteindre un trip auto-mobile. Pas question de dopage non plus pour un shoot d’évasion. Dans ce deal d’insoumission, il est stupéfiant d’avoir ainsi le choix de son héroïne. Pour autant que son consommateur ne soit pas “accro” à trop d’inactivité, il verra son état de conscience se modifier au gré de ses sujétions. Une dépendance physique et psychique à nulle autre pareille puisqu’elle aboutit à la découverte de sa propre fortitude. Les montées sont souvent brutales et délirantes alors que les redescentes, elles, se font sans hallucinations mais avec cet impérieux manque: y succomber à nouveau pour le PLAISIR. Accessible à toutes les bourses (ou en tout cas il devrait l’être!), il est prestigieux de par sa simplicité de fonctionnement, et son entretien est en quelque sorte auto-suffisant. Ce fabuleux instrument de rassemblement et de communication ne connait ni les frontières linguistiques ni géographiques et encore moins sociales, il enseigne avec finesse l’indulgence, la dépossession et l’impermanence des événements. Une connexité de l’émotionnel, du visuel et de la réalité. En plus d’être trans-générationnel, il réconcilie l’Homme avec ce qu’il a de plus précieux: sa liberté de mouvement et celle de sa pensée. Suis-je naïf et idéaliste en affirmant qu’il participe à sauver notre idéal, qu’il est sans conteste, en apportant sa vision humaniste, le vecteur d’un monde meilleur? Oui! Je le pense et le revendique avec vivacité, mais sur un vélo uniquement! A quand le musée de la bicyclette, ode au sublime qui célèbrerait sa mécanique de corps et de cœur ?

Pas un jour n’est passé (sauf celui où la météo était tellement exécrable que rester sous la tente s’est imposé comme une nécessité) sans qu’une personne ne me fasse part de sa bonté de cœur, d’une main tendue, souvent au travers de petites attentions mais toujours de manière inconditionnelle. C’est aussi de là que j’ai puisé l’énergie lorsque le “sale temps” était venu de me battre (et de me débattre) comme un dinosaure face à ces vents mammouths ayant mûri au-dessus de la mer soufflant 3/4 face à 67km/h en rafale… Voilà le véritable carburant pour le cycliste, sa matière première, il l’extrait de la spontanéité de ces échanges, les plus souvent enrichissants, qui ponctuent sa progression. Bien sûr qu’il y a aussi parfois la rencontre avec des personnages désagréables. Oh le vilain jugement de valeur! Mais puisque le vélo déconstipe, cette personne présumée imbuvable ne devrait-elle pas simplement pratiquer plus d’activité cyclopédique afin de retrouver un transit harmonieux; celui du sourire?
Le voyage à vélo induit un renouveau constant. Une dérive qui ne consiste pas autant à perdre de vue la rive. Il pousse son sujet à faire preuve de créativité au moment de choisir ses détours. Il doit composer un poème anacyclique où le TRACÉ sinueux sera vécu comme un ÉCART lumineux. Une chance offerte pour apprivoiser ces voix inconnues qui sublimeront la voie afin de s’assurer le Graal des quêtes vaines: la Liberté.

Après avoir traversé la Suisse et l’Allemagne, je décide, puisque en avance sur le timing, de me frotter à la côte ouest du Danemark, dans son intégralité, jusqu’à Skagen. Il y est possible, parait-il, si on est chanceux, d’apercevoir les vagues de la mer du Nord et celles de la Baltique s’échouer en un seul point, en ayant un pied dans chacune d’elle. Seul le second privilège m’a été offert. En contrepartie du premier j’ai eu immensément de plaisir à pouvoir être, perché sur ma selle, un témoin comblé par cette nature si puissante tout au long de cette traversée en bordure de la Mer du Nord. Sentiment étrange de se découvrir, un peu plus soi- même, au contact des variations barométriques. On ne triche pas avec la météo danoise qui ne connait pas les compromis : elle est brute, entière, et façonne les habitants qui s’y sont apparemment fort bien habitués. Ron, rencontré la veille à Agger, s’arrête à ma hauteur alors que je livre un combat féroce contre un vent fou. Je le questionne:
– Here you can have 4 seasons in one day?
– No! In one afternoon! Take care on your Bike, a depression is coming at four o’clock!
Ok, il va falloir se cramponner.

Crazy Danemark!

Une après-midi, le ciel a été tellement impitoyable lorsqu’il s’est mis à grêler, que l’alarme antivol d’une bonne partie des voitures présentes sur le parking, s’est déclenchée. Et bien mince alors, imaginer la tôle froissée. Ça a bien dû être l’unique fois où j’avais le sourire aux lèvres en voyant leurs propriétaires ne pas l’avoir. C’est fou l’attachement que l’on est capable de porter à SON chariot à quatre roues. Pour certains, c’est sûr, ça doit être le prolongement de leur identité… Crazy world!

Ce pays m’aura vraiment marqué par son inconstance météorologique. Et cette fois, Vincent n’aura malheureusement pas été là pour amoindrir les efforts en faisant barrage… Bon, vous vous en doutez, ce n’est pas la seule fois où il m’a manqué. D’ailleurs, beaucoup de personnes, m’ont souvent manqué … cela fait partie de ce constant exercice de détachement qu’impose cette façon de voyager. Pourtant, dans cet enseignement, le meilleur n’est pas de savoir que vos amis pensent à vous, mais de penser à vos amis. Qu’ils me pardonnent de risquer ainsi des rêves que je suis le seul à faire… Plus intimement, il y a surtout cette Personne à qui tout me ramène. Jamais je n’aurai l’opportunité de la remercier d’avoir un jour décidé de devenir “donneur”. Et puisque aucun mot ne saurait soustraire sa famille de la douleur, il m’incombe de me questionner sans cesse. Suis-je suffisamment digne de ce don, au quotidien, pour Honorer son souhait d’avoir voulu sauver une vie? J’y tendrai de tout mon SOUFFLE.

Un petit crochet par Oslo en Norvège me permet de renouer avec les souvenirs d’un précédent voyage en Scandinavie. Déclinant l’invitation d’Arne, rencontré sur le ferry, j’ai dans le viseur, pour cette première nuit, de retrouver un certain camping où nous nous étions installés lors d’une précédente échappée. Bien m’en a pris! C’est un grand moment de plénitude de se remémorer la chronologie des événements d’il y a 10 ans. Tout y est! Jusqu’aux moustiques qui, eux non plus, n’ont pas mis longtemps avant de me retrouver… Après ces dons de sang forcés (je me suis d’ailleurs toujours demandé quels effets pouvaient bien leur faire les anti-rejets et autres molécules chimiques qu’ils pompent), la dernière ligne droite se présente et avec celle-ci l’apparition des premières craintes. Entre autres, celle de ne pas me sentir confortable dans des disciplines où la compétition règne et inévitablement divise. Une injonction difficile à supporter pour mon esprit préférant l’unicité à la discorde de l’affrontement. Je deviens fébrile à l’idée d’enfourcher un vélo de course, moi qui ne suis jamais monté sur un engin pareil et qui ai encore moins participé à une quelconque manifestation chronométrée. Le simple fait d’imaginer ses pieds “clipés” aux pédales ainsi que de devoir porter des vêtements officiels me rebute. Qu’on me prive de mes mouvements et qu’on m’impose une tenue vestimentaire, bardée de sponsors, fait naître en moi un conflit psychique que j’associe à une peine privative de liberté. Celui-ci augmente de façon proportionnelle au raccourcissement de la distance me séparant de cet événement. Douter sans redouter fait avancer avais-je dis? Alors j’avance vers ces 18èmes « World Transplant Games » qui ont lieu tous les 2 ans et qui sont représentés par plus de 1’400 athlètes soit 69 nations! Cette année, ils sont parrainés par le prince Daniel de Suède, lui-même transplanté d’un rein.

Arrivé à Göteborg le 15 juin, date de mon anniversaire, je ne peux m’empêcher de me remémorer l’état extrême qui était le mien 15 mois plus tôt. On me sortait de mon lit avec une “cigogne” pour que, 10 min durant, je me refamiliarise avec la position assise. Une période hautement douloureuse. Puis soudain, la bulle dans laquelle s’était logé mon esprit éclate. Åsa! La responsable des Jeux m’accueille chaleureusement à l’entrée de La ville. Merci d’avoir été là pour estomper quelque peu ce mal de mer qui m’a envahi en posant pied à terre. Imaginez un peu la noyade d’un cycliste..!!! Elle voit en moi l’incarnation d’un héros… Je lui répète sans fin que je n’ai fait que réaliser ce qui m’animait; rien de plus. Une fois l’euphorie de l’arrivée, des journalistes et du staff retombée, il est temps de faire connaissance du Team Suisse. Rapidement, une complicité s’installe avec eux et certains participants d’autres nations. Celle-ci ne cessera de grandir tout au long de cette semaine. Ana, Emilie, Claudia, Jean-Claude, Nicolas, Gisèle, Claire, Bernard, Jessica, Loyd et tant d’autres ont tous un vécu singulier qui est mis en avant par ce don d’une deuxième vie qu’ils ont reçue. Certains participants se distinguent encore un peu plus par leur histoire, leur message et leurs performances. Comme Howard cet ancien joueur de la NBA, Tashi l’unique participant du Boutan, Martha ayant reçu 5 transplantations, Mary l’athlète la plus âgée ou encore la présence de la mère de Brian, décédé en 2007 ayant donné 5 de ses organes pour sauver 7 vies! Quelle source d’inspiration à puiser tout autour du monde et de POWER OF HOPE! Le message chapeautant les Jeux est clair: “Le don d’organes sauve des vies! Peut-être la vôtre ou celle d’un proche un jour”. La cérémonie de clôture a très certainement été un des moments les plus poignants. Durant 1 minute, toute notre gratitude de pouvoir respirer et d’être en vie s’est dirigée vers les familles des donneurs. Pour toutes les infos, faites-y un saut: http://www.wtg2011.com/

Après ces 50 jours passés sur une selle et autant de nuits dans une tente, il est désormais grand temps de rejoindre Mon SOLEIL. Elle m’a permis, par sa compréhension, à trainer sur les bords de routes, de nous imaginer un air bien oxygéné dans un ciel sans nuages. …avec des poumons qui tiennent la route pour … notre avenir!

Pour le finish, je vous la fais en Suédois.

Om du lyckas översätta detta är att du är antingen mycket patienten eller mycket mild till min enVoLOÉs. …Men denna sista ordet inte det innehåller den magiska bokstavskombination V.E.L.O ;-))

Magnifique été auprès des vôtres en espérant vivement que celui-ci à déjà débuté sur les chapeaux…de roues!

Michel

0 commentaires

CA POURRRAIT AUSSI VOUS INTÉRESSER

TIRÉ DU BLOG

Toucher le ciel

Toucher le ciel

Voici quelques photos de Michel au sommet de l'Aconcagua. Derrière son sourire il y a eu apparemment beaucoup de souffrance et d'abnégation. Il nous en dira plus une fois rentré.

Il l’a fait !

Il l’a fait !

Le GPS est formel : Michel était tout à l'heure (14h41 heure locale) au sommet de l'Aconcagua 6960m au dessus du niveau de la mer. On se réjouit de voir les images et de lire des anecdotes sur cet expérience hors du commun : être le premier double transplanté des...