En solo sur selle, en duo pour la muco!

Mai 30, 2009 | témoignage

«Porter la liberté est la seule charge qui redresse bien le dos.» Patrick Chamoiseau

Hola !

Il y a maintenant un mois que les brumes genevoises ont fait brutalement place à un ciel bleu qui s’étend à l’infini et surplombé d’un soleil puissant brûlant la terre en permanence. 30 jours qui auront essentiellement servi à renouer le contact entre l’asphalte et la pneumatique, entre le corps et la mécanique.

Après trois nuits de ré-acclimatation à Puerto Vallarta, histoire de se laisser pénétrer par les couleurs, les sons et les odeurs, je reprends donc la route sur la Mexicali 200. Les premiers tours de pédale sont pénibles. Calciné par les ardeurs du soleil qui me dévore de ses feux, mon corps est soumis à une cuisson dépassant quotidiennement les 30 °C à 35 °C degrés. Mais ces contraintes atmosphériques infernales sont très largement compensées par un environnement rafraîchissant pour le corps et pour l’esprit : gigantesques plages désertes au sable brillant et doux, criques secrètes, entourées de cocotiers et de palmiers, le tout baigné d’une eau “bleu marine” font de cette “selle de cinéma en plein air” un coin du monde où il fait bon se déplacer.

La route, elle, est relativement exigeante et parfois… “déroutante”. Elle serpente le long de la côte et s’autorise soudainement une intrusion à l’intérieur des terres, s’élevant ainsi rapidement vers le ciel, sans doute pour mieux offrir à ma vue les trajectoires à venir où se profilent des falaises plongeantes et acérées. Au fil du “temps”, le climat semble de plus en plus tendre vers quelque chose de pré-tropical et les quelques nuages disséminés çà et là laissent présager l’arrivée de la saison des pluies ; pour la mi-juin, selon les “experts” locaux en météorologie. Pour ma part, je serre les pousses en espérant que ces gros ballons blancs et gris accrochés haut dans le ciel ne crèvent pas en tempête. Pourvu que ça dure !

Mon rythme de croisière se décompose en “tricycle”, comprenez par là les trois phases cycliques essentielles à un voyageur en bicycle : 25 kilomètres de route le matin, une pause-déjeuner suivie généralement d’une courte retraite “ronflette” dans un coin ombragé, et enfin la reprise, lorsque le milieu de l’après-midi apporte un peu de “fraîcheur”, augmentant au terme de la journée le compteur du vélo de 50 nouveaux kilomètres. Pensant accélérer la cadence à l’amorce de ce nouveau départ, mes muscles, articulations et genoux, après deux mois d’inactivité, ont manifesté avec “force” leur mécontentement, échaudé par cette reprise “à froid”. Si bien que les premières semaines ont métamorphosé mon deux roues en un instrument de tortu(r)e…

Mais depuis mon retour en selle, tout n’est pas qu’une question de rythme ou de douleurs physiques. Et après tout, quelle importance que la mélodie du cliquetis de la chaîne ne puisse s’apparenter au tempo rapide de la salsa mexicaine. Plus difficile par contre est le fait qu’elle a parfois tendance à ressembler à du blues. Auparavant, un duo bien accordé me paraissait comme étant l’instrument de la réussite par excellence. En roulant “de concert” avec Michel, il m’apparaissait qu’aucune fausse note n’était susceptible d’entraver notre voie. Ou, si elles devaient apparaître, sa formidable ingéniosité et son optimisme inébranlable sauraient y faire face. Aujourd’hui, j’apprends donc doucement à tracer ma propre route. Mais quelque soit les efforts en ce sens, je perçois trop souvent que la caravane reste incomplète. On se sent tellement moins fort lorsqu’elle passe et que les chiens sauvages aboient (je me risque moins à les siffler pour les taquiner d’ailleurs…).

L’absence d’un allier, d’un mentor même, se fait sentir, en particulier dans les moments creux : les levers, les pauses, les soirées. Qu’il est parfois douloureux de ne plus entendre l’autre, même dans ses silences. Non pas que nous discutions quotidiennement pendant des heures et des heures. Nous connaissions les automatismes de l’autre, et il n’était donc pas nécessairement question de bavardages philosophiques sans fin. Non pas non plus que nous n’avions rien à nous dire : en fait, cela n’était tout simplement pas nécessaire. La séparation s’est donc traduite très intensément au départ de Genève : ce jour-là, nos yeux ont débordé des mêmes larmes. Ainsi, en est-il, entre deux personnes qui ont chacune gravé le nom de l’autre sur leur coeur : un alter ego, un “autre soi-même”. Michel, il m’arrive encore quelque fois de me retourner pour être certain que tu n’es pas là ou de plisser les yeux pour chercher ta présence plus en avant sur la route. Dans l’ordinaire des jours, je serais certain de te percevoir çà et là. Tu restes mon moteur, ma source de motivation quotidienne. Merci pour tous tes messages, merci pour ton soutien, merci pour ta présence et merci pour ta confiance !

Au chapitre des rencontres, le livre en compte toujours autant et, comme à l’accoutumée elles sont aussi enrichissantes que diversifiées. Les individualités rencontrées s’expriment souvent de manière authentique, voire fraternelle. On a peine à tourner la page. A la Placita, où je m’autorise deux jours de repos, je campe chez un certain Grandy. Ancien marines de l’armée des États-Unis, ce gaillard puissant d’épaule a élu domicile dans ce paradis après avoir écumé les points chauds du globe avec “armes et bagages” : Afganistan, Irak, Liban, El Salvador, Indonésie, etc. Mais son “combat” aujourd’hui, il le mène contre cette ancienne vie de sang et de violence, qu’il rejette, sans pour autant la nier. Un sacré “gringos” qui ouvre la terrasse et les cuisines de son restaurant de plage aux campeurs-voyageurs du monde. Il y a là des mexicains bien sûr, mais aussi un bolivien, une grecque, des américains. De bons moments avec une belle équipe !

Plus au Sud, à Zihuanatejo (prononcer Ziwouanatero), Mariana aura su m’apercevoir au bon moment à la recherche d’une place pour camper. La formidable propriété qu’elle gère lors des absences du boss (en plus de ses deux autres activités salariées !) est inoccupée et elle me propose une chambre pour une poignée de pesos. En fait, il semble bien que la crise, la grippe “porcine” et la basse-saison finissent d’achever l’économie touristique locale cette année. Quelle aubaine car les rues et surtout les routes principales sont par conséquent moins fréquentées. En ce qui concerne la grippe elle-même, Pablo m’assure, lors d’une délicieuse pause “coco frio” (lait de coco gelé à déguster à même la noix !), qu’elle se déplace également dans les airs. Avec le vent de face de cet après-midi-là, qui charrie quantité de poussière et de gravas, j’ai le nez qui coule, les yeux qui piquent, je tousse, je crache… drôle de grippe… Il me semble qu’à vélo, c’est plutôt de la route qu’on peut devenir malade : lorsqu’on l’attrape, on l’a dans le sang, et pour de bon !

Depuis quelques jours, je roule à nouveau en compagnie de Parker, plus connu sous le nom de Park-core, ce jeune homme de 19 ans que nous avions rencontré sur la côte Est des États-Unis. Il poursuit sa route vers le sud, lentement mais sûrement et c’est donc l’occasion de donner quelques tours de pédale ensemble. L’arrêt dans la petite bourgade de Rodecia restera sans nul doute comme l’une des plus mémorables soirées de fête improvisée ainsi qu’une plongé au coeur même de l’héritage mexicain. Ce jour-là, le village entier a revêtu ses plus beaux atours pour fêter dans la plus pure tradition la Quince años ! Grâce à Salomon et à son épouse Marty, qui nous accueillent pour une nuit à l’arrière de leur basse-cour, nous aurons la possibilité de participer et de vivre de l’intérieur cette pratique ancestrale introduite par les espagnols. Celle-ci représente le passage de l’enfance à la femme pour la jeune fille qui fête alors ses quinze ans : la Quinceañera. ¡¡ Que Fiesta !!

Malgré une certaine gêne, la tequila aura brisé mes résistances et je tente une danse, assez misérable il faut l’avouer, avec la jeune demoiselle. En fin de soirée, et ce en dépit d’une certaine difficulté d’élocution et d’une capacité réduite d’entendement en ce qui me concerne, Philipe, mon voisin de table, aura réussi à m’expliquer dans le menu détail le déroulement de cet événement inconnu sous nos latitudes. Il serait fastidieux d’en énumérer ici toutes les étapes. Sachez cependant que la Quinceañera a droit à la plus somptueuse fête qu’une fille de 15 ans puisse rêver. La messe donnée en son honneur, à laquelle nous n’avons pas assisté, est suivie d’une fête sur une scène montée pour l’occasion et animée par un orchestre entier (la musique est une véritable institution au Mexique). Le moment phare culmine avec l’entrée en scène des plus beaux chambellans du village, sélectionnés bien sûr par la jeune demoiselle qui effectuera en leur compagnie une série de pas de danse : valse, salsa, samba, banda, pasito duranguense, musique moderne avec chorégraphie, etc. Le gâteau, une tourte montée sur trois étages, reprend les couleurs de la robe de la jeune fille, tout comme la décoration de la salle et le bouquet. On peine à imaginer le travail d’organisation nécessaire pour mettre en place un tel évènement. Le tout est évidemment filmé par un professionnel engagé pour l’occasion. Une fête coûteuse par conséquent et qui dépend des moyens financiers du chef de famille. Après une très courte nuit et malgré un manque certain d’équilibre, voir dangereux, nous réussissons à parcourir 45 km, baignés dans une chaleur moite. Presque un exercice de style en somme !

La vie animale affiche à son palmarès de nouvelles espèces : lézards énormes, serpents, caméléons, scorpions, perroquets, et, comme toujours, en train de se balader nonchallament sur la route et qu’il convient donc d’éviter avec attention lors des descentes à l’approche des villages : cochons, porcs, sangliers, chevaux, vaches, taureaux, poules, chiens, chats, canards, oies, etc.

Enfin, c’est la fin d’une mini-étape : l’arrivée “à proximité” d’Acapulco qui laisse songer au cauchemar évité en impruntant le périph… La poussière vole dans le sillage des véhicules à 2, 3, 5, 10 roues ou plus ! Les klaxons aussi variés qu’agressifs sont ici soumis aux mêmes contraintes d’utilisation que les moteurs. Les feux de signalisation sont multicolores et dépendent donc du bon vouloir des conducteurs, ou de la présence affichée de la police, munis de leur sifflet et de leur fusil-mitrailleur en bandoulière en guise d’avertissement… La pollution sonore et atmosphérique qu’accompagne le trafic chargé font des abords de cette ville ultra-touristique (bien que Cancun lui aurait ravi la palme des destinations “in”) un capharnaüm intenable ; les hôtels les plus miteux sont hors de prix. Je m’empresse donc de quitter cette zone pour rejoindre San Marco, à 60 km plus au sud, où je me trouve à l’heure de la rédaction de ces quelques lignes. Parker, remonté à Mexico pour y chercher quelques affaires, devrait me rejoindre et nous poursuivrons d’ici quelques jours.

Pour la suite, le plan est longer la côte. D’après de rapides calculs, il reste quelques 1’000 km jusqu’à la frontière guatémaltèque. Avant cela, nous traverserons Oaxaca (prononcer Ouaraca) et le Chiapas, deux états emprunts d’une histoire sociale et politique riches et parfois très agitées, en raison des puissants mouvements de résistance de ces dernières années, notamment sous l’impulsion des organisations indigènes. De grands moments de découverte en perspective, en particulier à la lumière des élections mexicaine du 5 juin à venir !

A l’aune de ce nouvel été, je vous fais parvenir mes salutations chaudes et colorées. Quelques photos et vidéos ont été publiées.

Une pensée toute particulière bien sûr pour mon compagnon de route en Suisse : prends soin de toi, poteau !

¡Qué le vaya bien!

Vicente

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