Il battu des records. Marzo a vécu vingt-quatre ans avec le poumon d’un autre. Il est mort fin mars d’un problème non respiratoire. «C’est exceptionnel. Ce monsieur haut en couleur avait une énergie folle, il s’est toujours battu et sa famille l’a beaucoup soutenu, ce qui est important.» La professeure Paola Gasche, médecin-chef du Service de pneumologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), souhaite rendre hommage à son patient. Son exemple, certes rare, révèle que l’une des transplantations les plus délicates présente, plus souvent qu’on ne le croit, de très bons résultats. L’occasion de revenir sur l’ensemble des greffes, les progrès réalisés et les limites qui persistent.
Coeur, poumon: rejets et infections
«L’objectif de la transplantation est de renouer avec une vie normale», souligne Paola Gasche. Certains font mieux que cela: transplanté des deux poumons, Michel Stuckelberger a gravi le Kilimandjaro et participé à la dernière Patrouille des Glaciers.
Attention: ces exploits ne doivent pas occulter la spécificité de la transplantation pulmonaire. À l’inverse des autres organes, le poumon «est exposé à l’air 12 à14 fois par minute et donc à toutes sortes de particules et de germes», indique Paola Gasche. Pour éviter les infections, le patient doit prendre des précautions au quotidien. La première année, le rejet aigu guette un transplanté sur trois. Cela se soigne bien, avec des stéroïdes. Plus fâcheux est le rejet chronique qui affecte la moitié des patients cinq ans après la chirurgie, sans que l’on sache bien pourquoi. «On ne peut rien faire d’autre que retransplanten>, précise Paola Gasche. Ce n’est pas toujours faisable, sans compter l’attente (de deux ans en moyenne).
La survie dépend aussi des autres organes, dont le fonctionnement peut être altéré par les effets secondaires des traitements immunosuppresseurs que le patient doit prendre à vie. L’immunosuppression peut favoriser la survenue d’infections, de tumeurs, affaiblir le rein ou le système cardiovasculaire. Enfin, bien sûr, le patient peut développer une tout autre maladie.
En matière de transplantation cardiaque, «il n’y a pas eu d’avancée majeure ces dix dernières années en termes de traitement immunosuppresseur, observe le cardiologue Philippe Meyer. En revanche, des progrès ont été réalisés, notamment dans la meilleure sélection des candidats et dans un suivi plus minutieux. Demeurent quatre grands problèmes: les rejets et les infections à court terme, les cancers et la maladie vasculaire du greffon (rétrécissement des artères coronaires du coeur greffé) à plus long terme.» Mais dix ans après la transplantation, environ 7 patients sur 10 sont toujours en vie.
Rein et foie: plus d’expérience
Les greffes de rein sont moins sujettes au rejet. Le premier greffé du rein à Genève, en1970, a vécu jusqu’à l’âge de 84 ans avec un greffon qui fonctionnait très bien, informe le professeur Thierry Berney, chef du Service de transplantation des HUG. Une telle longévité demeure rare, mais le risque de rejet est aujourd’hui bien contrôlé, grâce à l’amélioration des médicaments immunosuppresseurs et du dépistage des anticorps. Bien sûr, chaque cas reste unique. «En ce moment, un patient attend sa 4e greffe», remarque le médecin. Pour limiter l’attente (de quatre à six ans en moyenne) et la durée de la dialyse, la moitié des reins greffés vient aujourd’hui de donneurs vivants.
Mère de deux enfants, Liz Schick a été greffée du foie à 36 ans. Sportive, elle fêtera cette année les 20 ans de sa greffe en participant à un tour du lac à vélo avec des amis et d’autres transplantés – dont une dame de 71 ans! «Le foie est un organe sympathique: le rejet est plutôt rare et facile à contrôler, note Thierry Berney. Les progrès récents ont surtout visé l’anesthésiologie. Les patients ayant besoin d’une transfusion sont deux fois moins nombreux qu’il y a trente ans.» L’attente fluctue entre neuf et dix-huit mois. Les donneurs vivants sont moins fréquents que pour le rein (4 sur 50 greffes en 2017), trouver un donneur compatible sur le plan technique est plus compliqué.
Pancréas et Îlots: l’espoir chinois
Les greffes de pancréas, destinées à soulager les patients diabétiques, ont débuté en 1992; elles sont moins fréquentes aujourd’hui (entre 10 et 15 par an). Une autre solution est la greffe d’îlots de Langerhans. Ces cellules du pancréas sont greffées à des patients diabétiques ou souffrant d’insuffisance rénale.
Depuis quinze ans, les HUG, en partenariat avec l’EPFL, étudient la xenotransplantation cellulaire, soit la transplantation de cellules de l’animal à l’homme. Le projet est d’isoler des cellules porcines du pancréas ou du foie, de les enrober dans des polymères (dérivés du plastique), puis de les transplanter chez des patients. Jugeant les premiers résultats «tout à fait probants», le professeur Leo Buhler a contribué à créer une start-up avec la Chine. Les HUG ont trouvé un investisseur et un partenaire, l’hôpital principal de Chengdu, afin de construire une ferme pouvant produire des animaux propres et lancer une phase pilote clinique.
Pas de recette miracle, mais…
Comment mettre toutes ses chances de son côté pour que la greffe «prenne»? Pour la professeure Paola Gasche, il n’y a pas de recette miracle pour la transplantation, mais avoir moins de 65 ans au moment de l’opération est un atout. «Il faut aussi avoir la chance de recevoir les organes les plus compatibles immunologiquement et espérer que le corps développe une certaine tolérance, afin de diminuer les traitements immunosuppresseurs, ce qui permettra aussi d’atténuer les effets secondaires sur les autres organes. Ensuite, il faudrait, dans l’idéal, diminuer tous les risques connus en adoptant une bonne hygiène de vie. Bien sûr, il faut suivre le traitement. Or, 30 à 45% des patients l’interrompent au moins une fois. Enfin, le suivi médical le plus personnalisé et le plus attentif possible aide à limiter au maximum les effets secondaires.»
Geneviève Anthamatten a reçu une double greffe rein-pancréas en 1999. La transplantation l’a guérie du diabète et lui permet depuis de pratiquer du sport de haut niveau. Elle cumule les trophées aux Jeux des transplantés et à 65 ans, elle dit vivre «cent fois mieux qu’avant. Le sport m’a sauvée.» Vraiment? «Une bonne hygiène de vie est certainement un facteur de longévité, confirme Thierry Berney. Les facteurs psychologiques, comme une attitude positive, ne sont pas à négliger non plus. Mais pour des greffes de rein, du pancréas ou des poumons, le facteur «chance» est essentiel. En général, lorsqu’un rejet survient, il est dû à des raisons contre lesquelles les patients ne peuvent rien.»
Lire cet article au format PDF: Tribune de Genève – 28-04-2018 – Sophie Davaris
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