Equateur, 2800 m. d’altitude. Un ciel bas laisse passer ça et là quelques rayons de lumière. Le temps, frais et sec, s’annonce idéal pour une sortie de ville, partie délicate d’une ballade à bicyclette dans les mégapoles d’Amérique latine. Et Quito, deuxième capitale la plus haute du monde, près de 2 millions d’habitants, n’échappe pas à la règle. Trafic très chargé, rythmé par un tintamarre de claxon en continue, routes étroites jonchées de déchets, poussière statique à laquelle se mélange une pollution âcre et épaisse ; bref tout est là pour une reprise en “beauté”, après une dizaine de jours d’arrêt. Et après plusieurs mois de route, on connait la musique : la métronomie de la cité est mathématique. De 200’000 à 500’000 habitants, il faut 30 à 45 minutes de route pour s’extraire de l’enfer. Entre 500’000 et un millions, comptez une bonne heure. Chaque tranche de millions équivaut à une demi-heure d’apnée supplémentaire. Mais les couleurs, au bout du compte, ont l’avantage du nombre : le gris-noir grivoir des villes s’efface pour laisser place à un arc-en-ciel de coloris dont seule la nature a le secret. Le retour au calme est une bénédiction pour le moral et la santé. Quel plaisir de se mettre au vert!
Étape presque imposée, Quito avait comme objectif non seulement de s’offrir les services propres à une ville de cette envergure (courriers, services techniques, administratifs, linges, etc) mais devait également donner un nouvel élan à l’aventure. Pour réhausser les saveurs du voyage après des mois à faire sa petite cuisine dans son coin, rien de tel que la bonne vieille recette, éprouvée et approuvée par le passé : être à deux pour dévorer la route.
En s’associant de manière provisoire à cette course vers le sud, ma compagne Béatrice, pourtant cycliste débutante, a très vite démontré sa ténacité et son côté téméraire. D’abord pour (se) sortir de Quito et par la suite en se risquant à une descente (nécessaire) de plus de 60 kilomètres dont les 40 premiers ont été parmi les plus périeux à ce jour.
Si ces exploits se sont révélés possibles, c’est grâce au cycliste de tête qui, bien qu’avançant sur un autre chemin, est la pierre angulaire de toute cette aventure un peu déjantée. Dispo à 200 % pour tout et n’importe quoi : la logistique, le coaching, les consultations médicales 24h sur 24h (pour mes petits bobos “hyponcondriatiques”), les services avant, pendant et après vente du matos, etc. Michel, en plus d’affronter les turbulences incontrôlables de la maladie, roule à mes côtés !
Un mois auparavant, les derniers kilomètres en Colombie révélaient chaque jours des paysages incroyables, agrémentés de très bonnes rencontres. Avant la frontière, deux jours d’arrêt à Pasto. Yvan m’offre deux nuits d’hôtel et prend du temps entre ses nombreuses maitresses (et c’est pas peu dire) pour me faire visiter quelques bons “spots” locaux ! Puis je dévore les kilomètres jusqu’à Quito, franchissant plusieurs fois les 3’000 m. d’altitude, soufflant comme un dératé mais si pressé de rejoindre la capitale. Car dans les Andes (encore que l’on soit relativement bas), le tracée est exigeant et le plat inexistant. C’est un (très) grand huit : sensations fortes pour le corps et émotions sans fin pour la tête. Au sommet, le moral est au top !
Malgré l’altitude, la vie est riche et verte alors que lors des descentes dans les profondes vallées (remontées le lendemain ou le jour même), l’environnement est aride et brûlé. La sécheresse qui frappe l’Amérique latine cette année y est peut-être pour quelque chose. Le rationnement de l’électricité imposé par l’Etat équatorien permet tant bien que mal de parer au plus urgent en limitant la consommation mais le barrage alimentant une grande partie du pays reste à son plus bas niveau. Le phénomène météorologique “El Niño” impose à beaucoup, déjà fragilisés par la crise, un régime à “sec”.
Quittant donc Quito par ce qu’il est convenu d’appeler désormais “La Descente de la Mort”, nous roulons à un bon rythme dans une plaine plate qui longe la chaîne des Andes. La route est rectiligne et traverse les gigantesques plantations de banane. Le choix de quitter la cordillère des Andes (provisoirement qu’on se le dise !) et d’opter pour ce tracée plus accessible s’explique par le fait que Béatrice envisageait la prise de la température locale en douceur. On ne pédale pas dans les Andes sans quelques tours de chauffe.
Cependant, les espoirs d’une ballade “pépère” sont soufflés brutalement par un vent de face quasi constant et l’inquiétude liée au trafic, en particulier les bus de ligne. Les chauffeurs, sorte de Fangio version poids lourds, tentent par tous les moyens de dépasser les limites gravitationnelles et techniques. Les limitations “légales” de vitesse, elles sont laissées à leur “bon” vouloir. En Amérique latine, tous les bikers vous le diront sans hésiter : le pire ennemi du deux roues est le bus. Leur conduite (qui n’en ait pas une) frôle souvent le “cyclicide”.
2 décembre 2009, date particulière, nous traversons la frontière internationale qui sépare l’Équateur du Pérou. En guise de cadeau d’anniversaire, on ne peut rêver mieux que d’arriver aux portes d’un nouveau pays à découvrir, immense et inconnu, presque effrayant et donc fascinant. Tout respire l’aventure, l’excitation d’avancer à l’aveugle, le bonheur de rouler vers quelque chose d’incertain. Une sorte de vibration lourde et invisible qui attire et qu’on ne peut ni ne veut s’empêcher de suivre.
Quelques jours plus tard, quittant Tumbes, la première ville sur notre chemin, une atmosphère légère plane. Les vacances d’été en somme : l’océan clair, le soleil puissant, la route qui longe paisiblement la plage. Une si belle journée, nikel bleu ciel, à en tomber raide ! Et en effet, à trop se laisser séduire par l’environnement, l’attention se relâche et les petits oublis entrainent les grands ennuis. Ceux qui connaissent les avantages des clippes pour les pédales, savent aussi le risque inévitable lié à leur première utilisation. Ainsi Béatrice, malgré sa prudence, n’aura pas échappé à la chute aussi frustrante que brutale qui consiste, lors d’un arrêt, à se sentir entraîner vers le sol par le poids de son propre vélo, les deux pieds solidement arrimés aux pédales !
Mais que l’on se rassure : pas de problèmes physiques graves ni de dégâts matériels. De profondes entailles dans le mollet (digne d’une attaque de grizzly alaskien) et quelques contusions. Il faut donc envisager du repos, dans le prochain bled. Quelle chance, une auberge de jeunesse franchement sympathique est annoncée. La chambre tout en bambou au bord de l’océan est un hôpital des plus hospitalier.
Cet arrêt imprévu est aussi l’occasion pour se faire envoyer un nouveau filtre à eau. Celui-ci a eu la mauvaise idée de se casser, révélant par la même son inestimable utilité dans ces pays où l’eau du robinet est rarement potable.
Voilà, camarades et/ou amis, après ces quelques morceaux d’écrits décrits, il est temps de poser le stylo, jeter l’encre et reprendre la route ! Plus motivé que jamais d’ailleurs ; la frontière du Pérou annonçait les “derniers” 10’000 kilomètres à parcourir. Et si tout devenait possible ?…
Très bon début d’hiver et surtout de lumineuses fêtes de fin d’année à toutes et tous !
Vicente (y Beatriz)
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